Quelle(s) expérience(s) et quel(s) chemin(s) vous ont menée à devenir historienne de l’art et chargée des collections à la Fondation des Artistes ?
Dès mon plus jeune âge et bien que je vienne d’un milieu assez éloigné de celui du monde de l’art, mes parents m’ont emmené voir de nombreuses expositions. Nous organisions des week-ends culturels sans enjeu. Le seul jeu inventé par mes parents était celui de choisir l’œuvre qu’on aimerait ramener à la maison.
Les musées ont été très présents dans ma jeunesse et mon choix d’études s’est fait naturellement. Arrivée à Paris, j’ai suivi le cursus complet de l’École du Louvre pour acquérir à la fois les connaissances théoriques en histoire de l’art et des connaissances techniques de conservation-restauration avec l’étude des matériaux et de leur vieillissement. J’ai multiplié les stages dans les secteurs publics et privés pour me former et apprendre toutes les facettes de mon métier : juridiques, artistiques, scientifiques, financières, historiques, diplomatiques.
Tout cela m’a mené aux portes de la Fondation des Artistes en 2017 pour accompagner l’ouverture du cabinet de curiosités de Salomon et Adèle de Rothschild.
Comment définiriez-vous votre métier ?
Je suis chargée des collections. Mes trois missions principales sont :
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Connaître les œuvres
Sans connaissance, il n’y a pas de conservation possible. Il est impératif d’inventorier les œuvres, de les décrire et d’analyser leur état. Cela nécessite des connaissances et des compétences précises, comme l’utilisation du vocabulaire précis de l’histoire de l’art. C’est à la fois un travail intellectuel, pratique et logistique. À titre d’exemple, depuis mon arrivée à la fondation des Artistes, nous avons récolé 1619 œuvres de la collection — sans compter le legs des Rothschild.
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Conserver les œuvres
Cette partie théorique et technique est clé, puisqu’elle permet la transmission des œuvres dans le temps. Cela prend différentes formes : faire le ménage régulièrement pour enlever la poussière (meilleure amie de la moisissure), arbitrer des choix de restauration, travailler avec la sécurité, faire de la recherche…
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Faire vivre les œuvres
La conservation prend tout son sens si et seulement si elle est partagée. La médiation est donc le troisième pilier de mon métier. Elle se matérialise à travers des visites guidées, la mise à dispositions de livrets, la création de contenus, ou encore la formation des conférencier•e•s.
Quelle partie préférez-vous dans votre travail ?
J’aime aussi bien faire de la recherche pour rédiger une notice que réaliser un emballage parfait pour l’une des dizaines d’œuvres qui voyagent chaque année. En d’autres termes, tout me plait. Je dois cependant l’avouer, la rencontre avec le public reste une de mes parties préférées. À chaque nouvelle visite, j’apprends quelque chose ! Les visites guidées sont des moments d’échanges et d’apprentissage très riches.
Pour l’anecdote : il y a quelques mois, un visiteur m’a appris que l’un des objets présents dans le cabinet de curiosités n’était autre qu’un baguenaudier. Nous savions déjà qu’il s’agissait d’un casse-tête chinois, mais nous ne savions pas comment l’objet s’utilisait ni les règles du jeu.
Quel(s) projet(s) vous a le plus marquée ? Pourquoi ?
Le premier projet qui me vient à l’esprit est celui de l’ouverture du cabinet de curiosités. Regroupant plus de 400 œuvres datées entre l’Antiquité et le début du XXe siècle, ce lieu était fermé depuis près d’un siècle et rien ne laissait entendre qu’il puisse un jour être accessible au public. Nous avons dû solutionner point par point tous les problèmes soulevés par l’ouverture des collections au public et faire de nombreuses recherches. Aujourd’hui et depuis 2017, je suis très heureuse d’organiser des visites guidées sur rendez-vous dans ce lieu atypique.
L’autre projet marquant est mon mémoire de recherche en Master 2 à l’École du Louvre. J’ai réalisé un catalogue sur la collection de 120 tableaux hollandais du Musée Jeanne d’Aboville (La Fère, Aisne). J’ai mené une véritable enquête en remontant l’historique de la collection en explorant ces questions : « qu’est-ce qu’un musée ? », « d’où vient-il ? », « pourquoi passer d’un musée privé à un musée public ? ». Pour y répondre, j’ai puisé dans l’histoire des collections et l’histoire du goût — « pourquoi achète-t-on et qui achète ? ». Cette recherche a été un véritable travail collégial, de nombreux expert•e•s, historien•ne•s de l’art et fondations m’ont aidée, dont la fondation Custodia. Cela m’a permis de débloquer un problème de légitimité puisque j’ai compris que le plus important était la manière dont un travail est justifié, et non la simple renommée de la personne qui en parle. En histoire de l’art, l’attribution est un savoir cumulatif. La science n’est pas exacte, mais c’est la somme des recherches et des arguments justifiés qui permet d’échanger, d’avancer ou parfois de fermer des portes.
Quelles sont vos inspirations ?
Mon intérêt pour l’art et la culture est très spontané. Cependant, j’ai un faible pour la peinture primitive flamande, et tout particulièrement pour le triptyque Portinari d’Hugo Van der Goes (1476-1478) que j’ai eu la chance de voir au Musée des Offices de Florence. Le paradoxe entre la représentation pure et parfaite de la vie en apparence et la matérialité très forte de la peinture me fascine. Si on regarde une de ces œuvres de très près, la peinture apparaît comme sculptée. La matière prend le pas par rapport à ce que l’on peut voir de loin.
En quoi vous portent-elles dans votre quotidien en tant qu’historienne de l’art et chargée des collections à la Fondation des Artistes ?
Cette peinture représente la vie dans toute sa diversité. Les aspects les plus beaux de la vie côtoient les aspects les plus crasseux. C’est une peinture humaniste qui prend en compte la vie dans son intégralité. Cet humanisme résonne chez moi et influence notamment ma vision d’une médiation inclusive adaptée à différents publics.