Rencontre avec Bruno Moinard, architecte d’intérieur, scénographe, designer et peintre

Courtesy Bruno Moinard

Bruno Moinard est architecte d’intérieur, scénographe, designer et peintre. À L’occasion de ses 160 ans, la SNBA célèbre le monde de la culture et les personnes qui le font. Découvrez notre échange avec Bruno Moinard qui a assuré la scénographie de nombreuses éditions du Salon des Beaux Arts et apprenez-en davantage sur son parcours, son métier, ses inspirations.

Quelle(s) expérience(s) et quel(s) chemin(s) vous ont mené à devenir architecte d’intérieur/designer?

Je suis né entouré de textiles, de textures, de mobiliers. Mon père et mon grand-père étaient tapissiers. Très vite, mon père m’emmenait partout avec lui et surtout dans ses ateliers. J’ai commencé par jouer avec des ramponneaux puis petit à petit je lui donnais un coup de main pendant les vacances.

J’ai baigné dans ce milieu artistique. J’ai toujours dessiné et mon grand-père rêvait que je fasse l’École Boule en tapisserie. Mais à 9 ans j’avais déjà une idée bien précise de ce je voulais faire ! J’ai quitté Dieppe pour intégrer l’ensaama Olivier de Serres à Paris. La formation généraliste de cette école me convenait parfaitement. Je faisais de l’impression sur tissu, de l’architecture, du design, de l’impression sur tissu, de la publicité, je travaillais la terre. L’énergie qui y circulait était très stimulante et je prenais du plaisir à travailler jour et nuit !  J’ai eu très tôt le besoin d’exprimer par le dessin ma vision de l’espace, l’espace réel et l’espace rêvé. J’ai choisi de me spécialiser en architecture d’intérieur.

Quelle a été votre première expérience professionnelle?

Un architecte qui m’a proposé un travail à Roanne le jour de ma remise de diplôme. Mon premier rendez-vous de chantier s’est trouvé chez les frères Troisgros en 1979. S’en est suivie une longue liste de clients chefs. Aujourd’hui encore, je travaille avec Alain Ducasse, Jean Imbert, Anne Sophie Pic. Au fond l’architecture d’intérieur et la gastronomie sont des métiers qui se ressemblent : je travaille dans des délais très courts avec énormément d’exigences afin de rester sur le terrain en permanence !

Par la suite j’ai rejoint Andrée Putman et ai travaillé pour les grandes Maisons de luxe et leurs couturiers : Alaïa, Saint Laurent, Mugler, Lagerfeld… Karl Lagerfeld est le personnage qui m’a le plus marqué. Il était doté d’une intelligence remarquable et capable de faire plusieurs choses à la fois avec justesse. Il était tentaculaire. Je travaillais sur trois maisons en même temps pour lui, à Monaco, Rome et Paris. L’appartement de Monaco était situé au 30e étage du Roccabella avec une vue imprenable sur tout Monaco. C’était l’époque du Memphis d’Ettore Sottsass alors je me suis lancé dans un grand jeu d’enfant : j’ai choisi de la couleur du sol au plafond. Le soleil entrait de partout et les couleurs réfléchissaient dans toutes les pièces.

Et aujourd’hui où en êtes-vous?

Aujourd’hui j’ai multiplié par 100 ce que je faisais à l’époque chez Putman puisque la technique a évolué, les machines aussi. Mon équipe est aujourd’hui composée de 50 personnes au sein de notre agence Moinard-Bétaille et de 10 collaborateurs supplémentaires chez Bruno Moinard Editions, ce qui ouvre un nouveau champ des possibles.

Sans m’être donné de stratégie précise dans ma carrière, je suis arrivé là où j’avais envie : je dessine des boutiques, des sièges sociaux, des restaurants, des hôtels, des maisons et appartements privés, des musées, des spas, de la scénographie, du mobilier et je peins librement !

Comment définiriez-vous votre métier d’architecte d’intérieur/designer/scénographe?

Accueillir avec enthousiasme, émotion et toujours autant d’envie des demandes venues du monde entier. Il est indispensable de cultiver son côté enfantin, d’élargir son imaginaire… tout en maîtrisant ses projets.  Cela passe, chez moi, par un dessin jeté, des couleurs lâchées qui deviendront ma « marque de fabrique » et l’ambassadeur de mes idées.

Dans toute cette diversité, quelle est votre ligne esthétique?

Je suis attiré par la matière, la lumière, le classique, le contemporain. Tout m’intéresse. Les métiers d’arts font partie de ma vie. La technique et la nouveauté aussi. Je m’adapte, je reste curieux et je cultive une vision d’enfant.

Comment organisez-vous vos projets ?  Notamment la scénographie du Salon des Beaux Arts que vous avez plusieurs fois mis en scène?

©SISYU, Salon des Beaux Arts 2014

La base de mon métier est la scénographie. Je travaille à partir des lieux, de leurs contraintes, de leur lumière, de leur profondeur. Pour le Salon des Beaux Arts 2014 par exemple, j’ai réfléchi à la mise en scène de l’installation de Sisyu, artiste japonaise invitée d’honneur par la SNBA. J’ai eu la chance d’aller la rencontrer une première fois dans son atelier lors d’un déplacement professionnel au Japon, puis de me rendre au Carrousel du Louvre pour comprendre le lieu et imaginer ce que le projet artistique de Sisyu pouvait donner dans cet espace. Ma scénographie a été pensée comme un parcours de découvertes, de sensations. J’ai voulu que les visiteurs pénètrent dans un univers et se faufilent comme des carpes à l’intérieur de ses paysages en toiles.

Vous êtes l’un des seuls architectes d’intérieur à dessiner, comment l’expliquez-vous?

Je fais beaucoup de croquis et de dessins spontanés. Si je continue à dessiner depuis l’arrivée de la 3D, c’est parce que la main est très importante pour moi. Elle transmet l’émotion du cerveau. Il y a une fraîcheur dans le geste qui est celui de la justesse. « Quand on laisse la liberté au trait, cela devient un trait d’esprit », dirait mon ami Michel King (ndlr Président de la SNBA).