Rencontre avec Suzanne Vogel-Tolstoï, responsable de Galerie et des éditions chez Cécile Fakhoury

©Kader Diaby

Suzanne Vogel-Tolstoï est responsable de Galerie et des éditions chez Cécile Fakhoury. À L’occasion de ses 160 ans, la SNBA célèbre le monde de la culture et les personnes qui le font. Découvrez notre échange avec Suzanne Vogel-Tolstoï et apprenez-en davantage sur son parcours, son métier, ses inspirations.

Comment définiriez-vous votre métier ?

Mon métier est un métier de lien. Le fonctionnement de Cécile Fakhoury est très organique, au-delà de nos titres, nous sommes tous•tes couteaux suisses et pouvons redéfinir nos périmètres de travail en fonction de nos intérêts. Au quotidien, j’œuvre à créer des liens entre toutes mes missions, avec toujours pour objectif de servir l’artiste et de garantir la diffusion de son œuvre. C’est un métier où l’écoute est primordiale.

Quels chemins vous ont menée à devenir responsable de Galerie et responsable des éditions ?

Étant une enfant de l’école publique, les services publics, tels que les musées, ont toujours été très importants pour moi. Jeune, le milieu du marché de l’art me semblait nébuleux. Je le diabolisais sans le connaître et sans avoir conscience de son rôle dans l’aide à la création et le soutien aux artistes, surtout les artistes contemporain•e•s sur le marché primaire.

Après des études de philosophie à l’ENS puis un master à Sciences Po en management culturel, j’ai cherché un travail en Afrique de l’Ouest où l’offre culturelle publique est encore peu développée. C’est à ce moment que j’ai entendu parler de la galerie Cécile Fakhoury et que je l’ai rejointe. Et comme j’avais travaillé à mi-temps à côté de mes études chez Gallimard, Cécile m’a fait confiance et m’a proposé de créer le département éditorial de la galerie. Monographies, catalogues, textes curatoriaux… je travaille sur tout cela en plus de coordonner les activités de la Galerie.

C’est donc à travers Cécile Fakhoury que j’ai découvert le rôle des galeries d’art et le fonctionnement du marché de l’art. J’ai aussi rapidement compris que chaque galerie avait un positionnement différent vis-à-vis des artistes et du marché. Chaque galerie a sa personnalité ! Chez Cécile Fakhoury, on cherche à consolider la carrière de l’artiste sur un temps très long, au-delà des ventes. Nous avons un véritable rôle de soutien et de conseil, même quand il s’agit de projets qui n’ont pas de lien avec nous.

Comment organisez-vous vos journées au sein de la Galerie ?

Ça change tous les jours, car chaque journée a son lot d’urgences. À Abidjan où j’ai travaillé pendant 3 ans, le temps est plus long et nous organisons des expositions tous les 3 mois. La galerie Cécile Fakhoury de Paris n’a pas la même temporalité. Le rythme est plus rapide avec une exposition tous les mois. Une grande partie de mon quotidien tourne autour de l’organisation des expositions : projets artistiques, logistique, gestion des transports, gestion administrative, communication, scénographie, programmation du ménage, des coups de peinture pour rafraîchir les murs, organisation du vernissage, gestion des ventes, des réservations, des négociations…

En parallèle je développe les éditions de la galerie. En ce moment, je travaille sur le catalogue d’exposition de Jess Atieno et je prépare deux monographies, une sur Ouattara Watts en co-édition avec Atelier EXB et une sur François-Xavier Gbré.

Quel(s) projet(s) vous a le plus marquée ? Pourquoi ?  

La première exposition que j’ai organisée quand je suis arrivée à Abidjan (Sadikou Oukpedjo) ! C’est là que j’ai saisi l’importance du maillon galerie dans tout l’écosystème culturel. L’artiste m’a fait confiance et m’a fait participer au processus de création. C’était une expérience très enrichissante, et c’est d’ailleurs le premier texte que j’ai écrit pour la galerie.

Cela dit, chaque exposition est une expérience enrichissante, car chaque artiste à une manière différente de travailler et de nous impliquer dans son travail. J’ai en tête l’exposition de Roméo Mivekannin en septembre 2020 à Abidjan où il présentait dans une première salle ses œuvres — des réinterprétations d’images d’archives de la colonisation en miroir d’œuvres de l’histoire de l’art classique représentant des personnes noires en position de domination. Dans la suivante, il montrait une série de personnages noirs qui ont marqué l’histoire : WEB Du Bois, Frantz Fanon, James Baldwin, Aïssa Maiga, Wole Soyinka, Wangari Maathai. Nous avons beaucoup travaillé sur la médiation de cette exposition avec l’artiste. C’était fascinant de recevoir différents publics et de voir leur réaction vis-à -vis de ces images qui circulent assez peu dans la manière dont est enseignée l’Histoire en Côte d’Ivoire. Cela a donné lieu à des dialogues très intéressants. Nous avions d’ailleurs invité des étudiants de l’Insaac à lire des textes de Frantz Fanon, James Baldwin, Leonora Miano ou encore Seloua Luste Boulbina.

Quelle importance a l’art dans votre vie ?

 Je ne suis pas arrivée dans le monde des arts plastiques par erreur, mais j’ai quand même un terreau plus littéraire. Je lis beaucoup et j’aime beaucoup écrire. Je suis portée par cette tonalité littéraire dans mon travail et dans ma vie en générale. Mon attitude vis-à-vis des œuvres est la même que celle vis-à-vis d’un poème : les interprétations sont plurielles et chaque œuvre peut être analysée par couche. Plus jeune, l’œuvre de Nicolas de Staël m’a beaucoup marquée. C’est le premier artiste qui m’a aidé à déconstruire la dichotomie entre figuration et abstraction. Avoir quelque chose qui brouille un peu les lignes en face de soi permet de projeter l’imagination dans quelque chose d’abstrait, ou à l’inverse, de très concret.

Et si vous étiez une œuvre, un moment ou un mouvement ?

L’œuvre qui m’inspire —entre autres— est une installation de Tomás Saraceno qui a été présentée au Palais de Tokyo il y a quelques années. C’était une toile d’araignée géante qui donnait l’impression que tout partait dans tous les sens, alors qu’elle suivait une logique imparable. Cela me rappelle la sensibilité et la création de liens qui se trouvent au cœur de mon activité professionnelle. Il faut être suffisamment sensible pour comprendre les artistes que Cécile Fakhoury représente et suffisamment organisée et ancrée pour les aider.

Il y avait aussi une autre installation près de la toile d’araignée qui, en fonction du passage, émettait un son différent. Cela m’évoque la pluralité des publics et des audiences et m’inspire dans les travaux de médiation que nous mettons en place au sein de la Galerie.